Le petit épeautre: Une céréale ancestrale oubliée

Un peu de botanique

Le terme «épeautre» regroupe trois espèces différentes de céréales appartenant au genre Triticum :
• Le petit épeautre ou engrain (T. monococcum),
• L’amidonnier (T. dicoccon),
• Le grand épeautre (T. spelta).

Le genre Triticum appartient à la famille des graminées ou Poaceae. Cette famille de plantes monocotylédones regroupe la plupart des espèces céréalières.
Les graines germées présentent une tige creuse, dressée et poilue au niveau des nœuds. Chaque pied porte 2 à 3 tiges dont une seule est fertile et qui donnera un épi de grains. Le grain, ou caryopse, est aplati latéralement et de forme ovale. Le grain de petit épeautre est parfaitement lisse. Les grains du grand épeautre et de l’amidonnier présentent quant à eux un sillon central. La particularité des grains d’épeautre est la présence de fines enveloppes coriaces qui persistent après la récolte.

La notion d’hybridation

Il est primordial de s’attarder sur cette notion qui permettra d’expliquer les vertus nutritionnels du petit épeautre.

L’hybridation est le résultat du croisement de 2 espèces céréalières. Le but de cette technique est l’obtention d’hybrides, et donc d’une nouvelle génération de céréales «améliorée». En mélangeant les caractéristiques génétiques des 2 parents, les sélectionneurs de semences peuvent améliorer:
• Les qualités gustatives,
• Les qualités nutritionnelles,
• La résistance aux maladies,
• La résistance aux conditions climatiques,
• Le rendement des récoltes, etc.

L’hybridation peut se faire par mélange ou par addition des chromosomes de parents (cf figure ci-dessous):

Dans le premier cas, l’hybride a le même nombre de chromosome que les parents. Chaque moitié de chromosome provient d’un parent.
Dans le second cas, l’hybridation résulte en un hybride présentant le double de l’information génétique. Il renferme en effet l’intégralité de l’information génétique des 2 parents.

A l’origine, les céréales botaniques contenaient toutes 2 jeux de 7 chromosomes (céréales diploïdes).
L’hybridation par addition de chromosomes donnent des céréales tetraploïdes (4 jeux de 7 chromosomes). C’est le cas de l’amidonnier (hybride de blé originel et d’épeautre), du blé dur ou du blé Kamut® (hybrides de 2 blés originels). L’hybridation génèrent également des céréales hexaploïdes comme le froment et le grand épeautre.
Le petit épeautre quant à lui est diploïde. C’est une céréale ancestrale non hybridée qui a survécu à toutes les manipulations agricoles.

La composition nutritionnelle

*Autres céréales: blé, Kamut®, avoine, orge, riz, maïs, sorgho, millet.

Le profil protéique
Le petit épeautre renferme les 8 acides aminés essentiels. Il renferme la lysine qui est un acide aminé limitant dans les céréales (d’où l’association céréales + légumineuses dans le cadre d’un régime végétarien). Cet acide aminé est indispensable à la croissance des os, à la formation de certaines enzymes et hormones, à la biosynthèse de la vitamine B11.

Le profil lipidique
Il renferme majoritairement des acides gras insaturés (dont les oméga-3). Les bienfaits des oméga-3, acides gras essentiels, sont bien connus (développement du système nerveux, prévention des maladies neuro-dégénératives, prévention de la dépression, hypotenseurs, etc).

Les vitamines:
Les plus importantes: B1, B2, B5, B6 et A.

• Vitamine B1 ou thiamine: Elle favorise l’absorption de l’oxygène par les cellules. Elle améliore les capacités de concentration et d’apprentissage. Elle est anti-dépressive, anxiolytique, permet de combattre les effets du stress. Elle est protectrice du coeur et du système cardiovasculaire. Elle intervient dans le métabolisme des glucides et des graisses.

• Vitamine B2 ou riboflavine: Elle intervient dans les phénomènes d’oxydo-réductions cellulaires. Elle permet de synthétiser le glutathion, capteur de radicaux libres. Elle intervient dans le métabolisme des glucides, lipides et protides. Elle joue un rôle capital dans la vision, dans la santé des cheveux, des ongles et de la peau.

• Vitamine B5 ou acide panthoténique: Indispensable pour la production d’énergie au niveau mitochondrial. Elle constitue un facteur de croissance important chez l’enfant. Elle permet de lutter contre la fatigue et le stress.

• Vitamine B6 ou pyridoxine: Rôle important dans le métabolisme des graisses et des acides aminés, la formation de l’hémoglobine, la stimulation musculaire, la protection de la peau. C’est également un facteur de croissance et un coenzyme de plusieurs réactions. Elle joue un rôle important dans le processus de dégradation du glycogène par les muscles lors d’un effort, dans la synthèse de la B3 à partir du tryptophane et dans la synthèse de l’hème de l’hémoglobine.

• Vitamine A: Vitamine de croissance. Elle est donc importante chez les jeunes. Elle est anti-infectieuse, intervient dans le maintien de l’équilibre acide-base. La vitamine A joue un rôle dans la nutrition des cartilages et des os, des organes digestifs, des vaisseaux sanguins, des muqueuses et des téguments. C’est un facteur de rajeunissement. Elle possède des effets régulateurs sur le sommeil et la tension artérielle.
La vitamine Pro A est un caroténoïde. C’est un antioxydant puissant qui intervient dans la protection de la peau, protection contre les cancers du poumon et de la vessie, dans le maintien du bon état des muqueuses.
Le rétinol A a un rôle dans la rétine. Il intervient dans le développement de l’embryon, de l’enfant et de l’adolescent, entre autres dans le rôle qu’il joue sur la croissance, notamment osseuse. Il améliore la réponse immunitaire, la régénération tissulaire, la cicatrisation. Il participe également au métabolisme des hormones stéroïdiennes et à la synthèse de la progestérone.

• Autres éléments: les anti-oxydants dont caroténoïdes, polyphénols, phytostérols, alkylresorcinol (anti-cancer en prévention seulement).
Ces composés sont connus pour leurs propriétés antioxydantes, préventives des maladies cardio-vasculaires et des cancers, hypocholestérolémiantes, hypotensives, augmentant l’élasticité des vaisseaux sanguins et prévenant ainsi l’artériosclérose.

• Acide phytique: teneur basse (-50% par rapport autres céréales). L’acide phytique est un facteur anti-nutritionnel diminuant l’absorption du fer et du calcium au niveau intestinal. Sa présence à faible concentration dans le petit épeautre permet la consommation régulière de cette céréale sans risque de carences alimentaires.

• L’activité enzymatique de l’alpha-amylase et de la lipooxygénase est faible. Cette propriété permet d’améliorer la durée de vie des produits dérivés du petit épeautre. La farine par exemple conservera ainsi ses vertus et sera plus intéressante d’un point de vue nutritionnel que les farines dérivées d’autres céréales.

Les activités biochimiques et vertus nutritionnelles sont donc les suivantes

• Digeste (l’antigène a-gliadine n’est as exprimé, cette céréale est généralement bien tolérée par les personnes souffrant de la maladie cœliaque)
• Aide à la perte de poids,
• Action anti-inflammatoire,
• Prévention des maladies d’encrassage (eczéma, arthrite rhumatoïde, etc),
• Prévention des cancers (flavonoïdes dont lutéine),
• Aide à la stimulation du système immunitaire,
• Bénéfique pour la peau, yeux, cheveux et ongles,
• Aide à la protection du système nerveux,
• Aide à l’amélioration des facultés d’apprentissage,
• Protection du système cardio-vasculaire, prévention des plaques d’athérome et de caillots sanguins.

L’épeautre est un aliment quasi-complet. Sa composition très riche permet d’expliquer ses vertus nutritionnelles et biochimiques.

Existe-t-il un lien entre l’hybridation et l’intolérance au gluten ?

Le gluten regroupe un ensemble de protéine associées à l’amidon.
L’intolérance au gluten est une affection de plus en plus fréquente dans la population mondiale. Sa forme la plus grave est la maladie cœliaque (maladie auto-immune contre la paroi intestinale déclenchée par des antigènes portés par les prolamines, une classe importante des protéines du gluten).
Les antigènes (AG) dans le cadre de l’épeautre sont les alpha-gliadines (il s’agit de l’avénine pour l’avoine, de l’hordéine pour le seigle).

Les caractères génétiques influent énormément sur la qualité du gluten. En effet, le petit épeautre ancestrale et le blé moderne hybridé produisent des gluten très différents.
L’AG responsable de la maladie cœliaque n’est pas exprimé par l’A-gliadine du petit épeautre.

Plus une céréale est hybridée plus son gluten est susceptible d’exprimer les AG impliqués dans les réactions d’intolérance.

Conclusion

Le petit-épeautre, un aliment d’exception oublié, mérite d’être réintroduit dans nos régimes alimentaires modernes.

Références bibliographiques
Hidalgo, A., Brandolini, A. Nutritional properties of einkorn wheat (Triticum monococcum L.). Journal of Science of Food and Agriculture, 2014, 94: 601-612.
Okarter, N., Liu, C-S., Sorrells, M., Lui, R-H. Phytochemical content and antioxydant activity of six diverse varieties of whole wheat. Food Chemistry, 2010, 199: 249-257.
Hidalgo, A., Bradolini, A. Protein, ash, lutein and tocols distribution in einkorn (Triticum monococcum L. Subsp. monococcum) seed fractions. Food Chemistry, 2008, 107: 444-448.
Coccoritti, R., Carbone, K., et al. Content and relative composition of some phytochemicals in diploid, tetraploid and hexaploid Triticum species with potential nutraceutical properties. Journal of Cereal Science, 2013, 57: 200-206.
Peter R Shewry. Do ancient types of wheat have health benefits compared with modern bread wheat ? Journal of Cereal Science, 2018, 79: 469-476.
Nako, G., Stamatovska, V., et al. Nutritional properties of einkorn wheat (Triticum monococcum L.) – Review – 2016.